« Winter’s Bone » nous fait plonger dans l’Amérique profonde, avec cette particularité que le convenu de l’expression(« plonger dans etc») prend vraiment tout son sens. Spectateur, on ne sort de ce milieu, dans ce film, que de deux façons, très brièvement, par deux incursions dans deux institutions auxquelles les déshérités peuvent être confrontés : la police et l’armée, même si c’est de façon très différente pour la première et la seconde. Amérique bien réelle avec ses lois à elle, ses interdits, ses réseaux, mais aussi ses codes d’honneur, ou, au moins, de comportement, et, malgré la dureté glacée de nombreuses scènes, la chaleur, qui coûte toujours cher, de certains voire de nombreux personnages. Enfermement, dit surtout le film, que les cadrages serrés, la froideur des couleurs impriment dans l’œil du public, mais enfermement non sans espoir.
Sorte de paradoxe, de paradoxes pour ce film. La fille-courage, âgée de tout juste 17 ans, assure la survie de la famille dont elle a la charge, la mère ayant perdu la raison et le père ayant disparu, tué par vengeance ; elle connaît les codes d’un monde où on ne pardonne rien, elle les respecte et les enseigne à des deux petits frère et sœur, pour qu’ils puissent survivre, alors qu’elle voudrait changer de vie, leur donner les chances pour qu’ils en changent eux aussi, prenant des risques majeurs pour cela. Elle n’est pas le seul personnage à dépasser les limites restreintes qu’on pourrait attendre de son type. Rien de linéaire dans le film. Pas vraiment de cadres. Pas de complaisance, non plus, dans cette peinture de la misère sociale ; ce n’est pas sordide mais dur, seulement, si on peut dire, dur. Suggestion, litote sont une des deux façons d’exprimer la violence de cette vie, l’exhibition, la monstration directe de cette violence, à titre d’image, de figure, le plus souvent*, étant l’autre. On sait qu’il est plus efficace de suggérer que de montrer.** . « Winter’s Bone » fait succéder l’une à l’autre.
Et le film n’est pas un constat ou un documentaire, mais bel et bien un récit, même si ce récit ne progresse guère ou, du moins, sans surprise puisqu’on présume que le père, cadavre ou pas, sera retrouvé. Cette recherche, qui finit par la découverte du père mort, et la façon dont les femmes traitent le corps pour que la gamine, Ree, évite de perdre la maison, ce qui mettrait toute la famille dans la rue ou plutôt la nature, cette recherche avec ses péripéties, toutes violentes et tendues (même la musique country, très belle, est inquiétante !), fait basculer le récit dans le film noir. Rien d’étonnant puisqu’il est rare désormais qu’on ait des films s’enfermant dans un seul genre. Mais « Winter’s Bone » réussit l’amalgame en nous surprenant presque sans nous laisser respirer. Moralité : on peut faire de très bons films sans céder à l’obligation de montrer à l’écran des choses qui troublent encore davantage des cervelles qui n’ont pas besoin de cela pour être déglinguées. Ici, la violence n’est ni spectaculaire ni suspecte*** : elle réussit à détourner de la violence.
* via les animaux qu’on écorche
** cf la différence entre le curieux choix de Ridley SCOTT de montrer l’horreur dans « Hannibal », alors que DEMME l’avait, bien plus savamment, fait deviner.
*** suspecte au sens où elle peut attirer, fasciner, et donc rapporter pas mal d’argent
PS: pas vu que le film était commenté. 'Poste ce message et lis les textes du fil
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