"Bandit Queen",de Shekhar KAPUR (1994)

Film militant et effrayant : si on croit à la métempsycose (puisqu’on est en Inde !), on peut, une fois mort, vraiment redouter d’être réincarné en fille dans un bled perdu et une famille d’Intouchables. Je ne sais pas dans quelle mesure les choses ont changé en Inde de ce côté*, mais le film fait frémir, même si on croit connaître tout cela (femmes vitriolées ou je ne sais quelle autre horreur s’il manque une ampoule au réfrigérateur promis en dot, ou la pompe au vélo, etc). L’histoire vraie de Phoolan Devi, qui prend la tête d’un gang en lutte contre la caste supérieure, s’est passée dans les années 80.

Intéressant à pas mal d’égards. Occidentaux, on entre un peu dans l’histoire locale de régions paumées d’Inde et la complexité des motivations et des luttes internes des bandes d’opposition aux pouvoirs sur place (pas de partis, des gangs ?? Ou des gangs qui, à côté des partis, font office de partis ???). On touche la veulerie et la violence des hommes (quelques exceptions dans le film, d’autant plus méritoires : qu’on imagine la pression dans un village et la facilité à se laisser entraîner dans les violences une fois qu’un « enfoiré » -c’est le substantif qu’emploie la petite fille au début et à la fin du film- a donné le coup d’envoi). On ressent tous les enfermements, toutes les exclusions que vivent les semblables de Phoolan, les choses étant filmées à hauteur de victime révoltée, mais de l’extérieur malgré tout, cela ne nuisant pas à l’implication attendue du spectateur, et l’ensemble étant réalisé de façon sèche, sans complaisance ni voyeurisme (pas mal de viols quand même, assaisonnés de vantardise et d’humiliation), avec lucidité.

Et film écologique aussi !! Trop d’hommes sur la Terre, tout le monde presque le dit. Ces millions de filles sacrifiées, si elles étaient éduquées, mariées plus tard, si les enfoirés étaient moins pressés d’engrosser qui ils peuvent et de prouver leur virilité aux copains, ça soulagerait pas mal notre planète qui n’en peut plus guère. Film nécessaire**.

*cf manif géante de femmes violées, récemment, en Inde
** beaucoup ici le savent : Bollywood, ce n’est pas que de splendides chorégraphies et d’insipides histoires d’amour. Il est arrivé à chacun de nous de voir des films politiques hindous, et qui tiennent drôlement bien la route. Tout un cinéma (je ne parle même pas de la culture) que nous connaissons si peu. Oh : il ne s’agit que d’un milliard et quelques centaines de millions de personnes et d’une culture immense que j’ai honte d’ignorer autant que la plupart de mes contemporains européens. Je crois avoir lu que Nio Nio (ou Paz ?) comptait parmi ceux qui sauvent l’honneur, en ce qui concerne le ciné, puisqu’il a pas mal de films hindous.